Gagner les 24H du Mans : Mode d’emploi avec Kévin Estre

Circuit Circuit International Martin

A 28 ans, Kévin Estre participe au Championnat du Monde FIA d’Endurance avec l’équipe d’usine Porsche GT dans la catégorie LMGTE Pro. La troisième manche de la saison est également l’étape française et la plus grande course d’endurance du monde… Le pilote français, né à Lyon et installé depuis quelques années en Autriche avec son épouse Carolin, rêve bien sûr d’ajouter les 24 Heures du Mans à son palmarès. Alors qu’il vient de signer le troisième temps des GT lors de la Journée Test du 4 juin, il nous offre ses réflexions sur LA question qui préoccupe actuellement tous les favoris et la plupart des outsiders à dix jours du départ : comment faire pour gagner Le Mans ?

 

 

De quoi faut-il absolument disposer pour gagner Le Mans ?

Il faut un bon équipage et je dirais que plus les pilotes ont de l’expérience, mieux c’est. On a souvent vu des pilotes approchant de la fin de leur carrière qui avaient perdu un peu de performance, mais qui restaient très compétitifs au Mans. Sur six heures, la vitesse pure est plus importante, mais au Mans, l’expérience peut faire gagner la course, car elle permettra d’anticiper un crash ou de sentir un changement d’adhérence. Sur ce plan, il faut reconnaître que l’équipage que nous formons avec Dirk Werner et Michael Christensen est moins expérimenté au Mans que nos « collègues » (deux participations chacun pour les pilotes de la #92 contre 16 en tout pour le trio de la #91).

Il faut aussi un bon team et je crois que nous sommes vraiment bien armés avec les ingénieurs Porsche et le staff du Manthey Racing. Ce sont les mêmes mécanos depuis quatre ans, ils sont parfaits sur les pitstops, très entraînés, ils ne font que le FIA WEC donc ils connaissent les règles et la voiture par coeur.

Enfin, il faut une bonne voiture et une BoP équitable bien sûr ! (Balance of Performance : données techniques imposées à chaque marque pour égaliser les chances de victoire NDLR). Notre 911 débute au Mans, il y a donc une part d’inconnu même si on a beaucoup travaillé en vue de cette course. L’an passé Ford a gagné avec une toute nouvelle voiture ce qui prouve que c’est possible. La 911 RSR a davantage été conçue pour Le Mans que pour les autres épreuves, nous avons donc confiance dans son potentiel. Or, la performance de la voiture aide à éviter les erreurs qui peuvent coûter la victoire. Quand on n’est pas assez rapide, on est tenté de passer sur les vibreurs, de prendre des risques dans le trafic et sur la stratégie.

 

 

Quelles sont les qualités spécifiques que Le Mans exige d’une voiture ?

Il faut avant tout une bonne vitesse de pointe car c’est le circuit qui comporte le plus de lignes droites de l’année, sans trop négliger l’appui nécessaire pour les nombreux virages rapides.

Et pour le pilote ?

En ce qui concerne l’aspect physique, Le Mans n’impose pas forcément de préparation particulière. Pour moi les 6 Heures de Spa sont presque plus difficiles, notamment parce que nous ne sommes que deux pilotes par équipage chez Porsche. Mais mentalement, Le Mans est plus dur car on a davantage de pression, on atteint plus longtemps de plus hautes vitesses, avec beaucoup de trafic. La meilleure préparation pour cela, c’est encore l’expérience. Et sans doute que le fait d’avoir déjà gagné enlève aussi un peu de pression.

Comment aller vite avec la bonne marge de sécurité ?

En fait cela dépend beaucoup de la compétition. Les endurances actuelles sont plutôt des sprints, mais au final, la marge de sécurité est variable en fonction du niveau de compétitivité, de la place où l’on se situe et du moment de la course. S’il reste trois heures, qu’on est P2 à 20 secondes, la marge sera réduite. On se situera plus près de 101% que de 95.

 

 

Quel rôle peut jouer la pression ?

Du côté de Porsche, ils ne nous mettent pas la pression, par contre on la sent présente parce que la marque n’a pas gagné depuis 2013 en GT. De plus, nous devons triompher cette année car nous avons une voiture à moteur central. Le moteur en porte à faux de l’ancien modèle ne peut plus nous servir d’excuse. En interne, on parle de « the year of no excuse » ! En tant que pilote, on ressent donc indirectement cette pression. Mais personnellement, je ne m’en mets pas plus que les autres années.

Est-ce que la chance existe dans une telle course ?

Il en faut pour gagner en endurance, sur la stratégie, par exemple. Ici, il y a trois safety-cars et à une seconde près parfois, on peut gagner ou perdre beaucoup de temps ! Idem si on rentre pour ravitailler au moment où les autres perdent du temps dans une slow zone.

Comment faire pour perdre Le Mans ?

Il y a trop de réponses possibles pour cette question, un livre n’y suffirait sans doute pas… C’est la course la plus longue, avec beaucoup de pilotes, le circuit le plus exigeant, avec plus de monde qui travaille sur les voitures. Les facteurs qui peuvent influer sur le résultat sont plus nombreux, les risques de commettre une erreur aussi.